La cession d’un fonds de commerce et celle d’un bail commercial sont des opérations souvent confondues. Pourtant, elles ont chacune leurs spécificités et concernent deux notions juridiques bien distinctes. Il est donc important de bien identifier les différences existant entre ces deux opérations de circulation du bail commercial.
Il est également nécessaire de connaître les règles de valorisation et de fixation du prix d’un bail commercial et d’une cession de fonds de commerce, en fonction des spécificités du secteur (café, hôtel-restaurant, boulangerie, pharmacie, etc.).
L’objet de la cession : transfert du fonds de commerce ou du bail commercial ?
Le droit au bail commercial correspond au droit pour un locataire d’exploiter des locaux commerciaux et de bénéficier du droit au renouvellement (ce que l’on appelle la propriété commerciale, garantie par le droit au paiement d’une indemnité d’éviction en cas de départ forcé du locataire).
Dans le cadre d’une cession, l’acquéreur remplace donc le cédant en tant que locataire et bénéficie des conditions du bail commercial en cours.
Le fonds de commerce désigne quant à lui l’ensemble des éléments réunis pour l’exercice de l’activité commerciale du commerçant. Il comprend à la fois des éléments corporels (matériel, stocks de marchandises, outils…) et incorporels (clientèle, enseigne, droit au bail). Le droit au bail n’est ainsi qu’une composante parmi d’autres du fonds de commerce.
Un commerçant peut donc décider de vendre l’ensemble des éléments composant son exploitation (cession de fonds de commerce) ou de vendre uniquement son droit de se maintenir dans les lieux vis-à-vis du bailleur, propriétaire des murs (cession de droit au bail). Dans ce second cas, le commerçant ne cède ni sa clientèle, ni son enseigne, ni ses outils de production, mais simplement l’emplacement de son magasin. Évidemment, plus l’emplacement sera attractif (zone touristique, commerçante, etc.), plus le droit au bail aura de la valeur.
La frontière entre les deux notions (cession de fonds de commerce / cession de droit au bail) peut s’avérer floue, notamment car les tribunaux acceptent parfois que la cession du droit au bail s’accompagne d’autres éléments du fonds de commerce sans tomber dans le régime de la cession de fonds. L’élément essentiel distinguant ces deux opérations semble alors résider dans la cession de la clientèle.
Ainsi, dès lors que la clientèle est cédée dans le cadre de l’opération, celle-ci sera automatiquement qualifiée de cession de fonds de commerce.
Le prix de la cession : distinction selon l’opération et le secteur d’activité (restaurant, pharmacie, boulangerie, etc.)
La différence d’objet entre cession de fonds de commerce et cession de droit au bail explique que pour un même local commercial, le droit au bail se vendra nécessairement moins cher que le fonds de commerce, dès lors que ce dernier regroupe des éléments supplémentaires. En effet, celui qui acquiert un fonds de commerce acquiert non seulement un bail (un emplacement) mais également une clientèle, une notoriété, des outils de production, etc. La valeur vénale est donc forcément plus importante.
La détermination du prix dans une cession de droit au bail s’effectuera en partie par l’analyse des conditions du contrat de bail qui peut être plus ou moins favorable au locataire. Il s’agira principalement d’observer le montant des charges, celui du loyer par rapport au prix du marché locatif environnant, mais également la durée restant à courir du bail. Ce dernier point a son importance compte tenu du risque de hausse du loyer lors du renouvellement du contrat. Enfin, les caractéristiques du local et sa situation géographique seront prises en compte pour valoriser convenablement le droit au bail.
L’évaluation de la valeur d’un fonds de commerce est quant à elle plus complexe. Les parties peuvent utiliser une ou plusieurs méthodes pour se mettre d’accord sur le prix, en utilisant le chiffre d’affaires du fonds, son résultat d’exploitation, les prix pratiqués pour les locaux à proximité ou encore la valeur réelle de l’actif de l’entreprise. L’exercice de valorisation du fonds de commerce est ainsi plus proche de celui d’une valorisation d’entreprise, c’est-à-dire se fondant sur des ratios financiers essentiellement.
À ceci s’ajoutent des critères liés à l’activité : on ne valorise pas un hôtel-restaurant, un café ou une brasserie, comme on valoriserait une boulangerie ou une pharmacie. Chaque secteur d’activité connaît ses propres spécificités, et une approche purement financière ou comptable ne sera pas satisfaisante pour déterminer de manière pertinente le prix de cession. Il est clairement recommandé de se faire accompagner par un spécialiste au stade des négociations du prix de vente.
La possibilité pour le bailleur de s’opposer à la cession
Le commerçant qui souhaite procéder à la cession de son droit au bail doit préalablement vérifier les dispositions de son contrat. Il est possible, et très courant qu’y figure une clause permettant au bailleur d’interdire la vente du bail seul, indépendamment du fonds.
En revanche, dans le cadre d’une cession de fonds de commerce à une personne qui reprendra la même activité et la même clientèle, il est impossible pour le bailleur de s’y opposer. Il s’agit d’une règle d’ordre public à laquelle aucune clause du contrat ne peut déroger. En effet, le législateur a entendu permettre à tous commerçants de pouvoir céder son fonds de commerce, et ainsi valoriser le fruit de son travail et de son effort, sans pouvoir être empêchés par le bailleur (contrairement à une cession de droit au bail).
Attention toutefois : même si le bailleur ne peut s’opposer à une cession du fonds de commerce dans sa globalité, le bail peut contenir des clauses conditionnant et restreignant cette liberté de cession du fonds. Certaines clauses peuvent par exemple prévoir que le bailleur devra préalablement agréer le cessionnaire en fonction de critères de solvabilité ou d’honorabilité. Un refus du bailleur ne pourra alors se justifier que par le non-respect des critères tels qu’ils sont énoncés dans la clause. À défaut, le bailleur pourrait être sanctionné pour abus de droit.
Il convient de souligner que pour échapper à l’accord du bailleur, certaines parties peuvent être tentées de déguiser une cession de droit au bail en cession de fonds de commerce. Nous vous mettons en garde contre ce procédé : il s’agit d’une fraude qui peut avoir des conséquences vis-à-vis du bailleur, mais aussi de l’administration fiscale. En particulier, un bailleur qui n’aurait pas agréé le cessionnaire quand cela était exigé pourrait considérer que le nouveau locataire n’est qu’un occupant sans droit ni titre, et ainsi l’expulser et résilier le bail sans indemnité d’éviction.
Attention au transfert des contrats de travail en cas de cession de fonds de commerce
Dans le cadre d’une cession de droit au bail, il n’y a évidemment aucun transfert des contrats de travail. Seul le bail est cédé (l’emplacement du magasin), sans aucun autre actif ni contrat. En revanche, le transfert d’un fonds de commerce implique le transfert de l’ensemble des contrats liés à l’activité du fonds, et notamment des contrats de travail. Cela est obligatoire et automatique. C’est pourquoi le repreneur devra impérativement anticiper la reprise de cette masse salariale, et procéder à une analyse minutieuse des contrats des salariés (avantages acquis, congés payés, etc.) avant de procéder à l’acquisition du fonds de commerce.
Les étapes de la cession du droit au bail et celle de la cession du fonds de commerce
Après s’être mises d’accord entre elles sur le prix de cession, les parties vont devoir formaliser leur accord, en principe à travers deux actes successifs : la promesse de vente (ou compromis de vente), puis, si tout se passe comme prévu, l’acte définitif de vente.
À ce stade, une attention particulière devra notamment être portée aux éléments suivants :
Purge préalable des droits de préemption : les parties veilleront notamment à conditionner la cession à la purge préalable des éventuels droits de préemption applicables (on pense notamment au droit de préemption des communes prévu par les articles L. 214-1 et suivants du Code de l’urbanisme, ou encore à l’éventuel pacte de préférence que pourrait renfermer le bail au profit du bailleur).
Éventuelles clauses liées au financement : si l’acquéreur entend financer l’opération d’acquisition par un crédit bancaire, les parties devront, au stade de la promesse, conditionner l’opération à l’obtention du crédit nécessaire. Sur ce point, les parties devront veiller à bien encadrer la clause et les modalités du prêt sollicité en indiquant précisément le montant du crédit, la durée de l’emprunt, et le taux d’intérêt maximum. Cela permettra d’éviter tout risque de contentieux à ce sujet dans l’hypothèse où l’acquéreur se verrait refuser le concours bancaire nécessaire.
Attention encore aux spécificités liées à certaines activités : pour un restaurant, il faudra par exemple conditionner l’acte de vente à l’obtention préalable d’un droit de terrasse, ou encore aux autorisations spécifiques à certaines activités (tabac, Française des jeux, PMU, Licence IV pour la vente d’alcool, etc.).
Pour une pharmacie, certaines autorisations pourront également s’avérer nécessaires (comme l’accomplissement de formalités spécifiques auprès de l’Ordre des pharmaciens, la justification de l’obtention du diplôme d’État de pharmacien, outre le respect d’un formalisme renforcé au stade des actes de vente).
D’autres activités auxquelles on ne pense pas forcément, comme la boulangerie ou la pâtisserie, nécessitent également l’obtention d’un diplôme d’État préalable auquel il faudra se référer dans les actes de cession (sauf en ce qui concerne le simple terminal de cuisson pour le pain, ou l’activité commerciale comme le snacking, la revente de produits à emporter, etc.).
Pour toutes ces raisons encore, l’assistance d’un avocat spécialisé au stade de la transaction est vivement conseillée afin d’éviter les mauvaises surprises.
Notification de la cession au bailleur si nécessaire
Comme on l’a vu, le contrat de bail peut contenir des clauses restreignant la liberté d’une cession. Si tel est le cas, il conviendra en conséquence de conditionner la promesse de cession de fonds de commerce à l’obtention de l’accord préalable du bailleur et de notifier au bailleur, postérieurement à la signature de la promesse, le projet de cession en lui demandant d’agréer le repreneur. Le plus souvent on adressera au bailleur les éléments financiers du repreneur (ses bilans, son business plan, etc.) afin de lui permettre de se prononcer.
Cette notification préalable au bailleur s’imposera d’autant plus si le projet de cession de fonds de commerce implique une déspécialisation partielle du bail (par exemple, pour passer de l’activité de « petite restauration » à « restauration », pour autoriser l’exploitation d’une licence IV, l’installation d’une extraction, etc.).
En général, on sollicitera également le bailleur afin d’obtenir un engagement de sa part en vue du renouvellement du bail commercial aux mêmes charges et conditions, si la cession de fonds de commerce porte sur un bail venant prochainement à expiration.
Enregistrement de la promesse de vente en cas de promesse unilatérale
Le plus souvent, les promesses de vente de fonds de commerce sont dites « synallagmatiques », c’est-à-dire qu’elles engagent les deux parties : le vendeur est obligé de vendre si les conditions suspensives sont levées, l’acheteur sera lui obligé d’acheter. À défaut, les parties s’exposeraient à des sanctions financières, comme la perte de l’indemnité d’immobilisation (c’est ce que l’on appelle communément la « clause de caprice » fixant les pénalités à l’encontre de la partie qui refuserait de procéder à la vente alors même que l’ensemble des conditions suspensives ont été levées).
Toutefois, il arrive que les parties préfèrent recourir à une promesse unilatérale : le vendeur sera seul tenu de vendre, l’acquéreur disposera lui d’une option (en contrepartie du paiement d’une indemnité d’immobilisation).
Les promesses unilatérales sont évidemment valables. Toutefois, si elles ne sont pas passées par acte notarié, elles doivent être enregistrées dans les 10 jours de leur signature à peine de nullité, en application de l’article 1589-2 du Code civil.
Les formalités post-cession, à réaliser après la vente
La cession d’un fonds de commerce fait l’objet de formalités plus nombreuses que celles liées à la cession du droit au bail : enregistrement auprès du service des impôts, dépôt au Centre de Formalités des Entreprises ainsi que publicité au BODACC. Ces formalités sont denses et obligatoires, effectuées à peine de validité.
Notons que dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, la loi prévoit que l’acquéreur est tenu solidairement avec le vendeur au paiement de certains impôts. C’est pourquoi, afin d’éviter les mauvaises surprises, il est obligatoire de prévoir un séquestre du prix pendant toute la durée de cette solidarité fiscale (de deux à trois mois, selon certaines conditions). Le séquestre est également obligatoire pendant la période d’opposition laissée aux créanciers du fonds. Le plus souvent, le séquestre est exercé par un avocat, lequel déposera les fonds sur son compte CARPA ou auprès du séquestre juridique de l’Ordre des avocats.
De son côté, la cession de droit au bail ne doit faire l’objet que d’un enregistrement auprès du service des impôts compétent. Elle doit aussi être portée à la connaissance du bailleur et respecter les éventuelles formalités prévues par le contrat de bail.
Contrairement à la cession de fonds de commerce, il n’est pas nécessaire de prévoir la constitution d’un séquestre du prix en cas de cession de droit au bail dans la mesure où la loi ne prévoit aucune solidarité fiscale entre l’acquéreur et le cédant.
Négocier l’obligation de garantie du cédant à l’égard du cessionnaire
La grande majorité des baux commerciaux renferme une clause de solidarité entre le cédant et le cessionnaire, ayant pour effet de rendre le cédant codébiteur solidaire du cessionnaire à qui il cède le bail. Le cédant sera ainsi obligé de payer les loyers et charges au lieu et place du cessionnaire si celui-ci faisait défaut vis-à-vis du bailleur.
Cette garantie prendra fin seulement lorsqu’un congé aura été délivré au cessionnaire, ou bien à l’expiration du bail au cours duquel la clause aura été introduite. En revanche, en cas de tacite reconduction du bail commercial, celui-ci se poursuit donc, et la clause continue de jouer.
La garantie prendra également fin en cas de renouvellement du bail, sauf dans le cas où le bail initial prolonge explicitement son effet pour le bail renouvelé.
La loi Pinel est venue toutefois limiter la portée de cette garantie solidaire. Depuis cette réforme, l’article L. 145-16-2 du Code de commerce dispose que les clauses de solidarité prévues au bail ne peuvent excéder une durée maximale de 3 ans à compter de la cession du bail.
Autre mécanisme de protection du cédant instauré par le dispositif Pinel : le bailleur est obligé de l’informer de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être payée (article L. 145-16-1 du Code de commerce). Le cédant est ainsi mieux à même de pouvoir prévoir et anticiper un éventuel appel en garantie qui serait exercé par son ancien bailleur.
Notons toutefois que ces clauses de garanties prévues au bail sont toujours négociables : il est ainsi possible pour le cédant de tenter d’obtenir du bailleur de se voir décharger des obligations de garantie prévues au contrat, en proposant au bailleur d’en substituer de nouvelles (telle qu’une garantie bancaire à première demande).
C’est pourquoi il est fortement conseillé aux parties, qu’il s’agisse du vendeur ou de l’acquéreur, d’être assisté d’un conseil juridique (avocat) spécialisé dans ces opérations, qu’il s’agisse de cessions de fonds de commerce ou de droit au bail.
Votre avocat spécialiste devra également tenir compte des spécificités liées à votre activité (restaurant, boulangerie, pharmacie, etc.) afin de vous garantir une cession en toute sérénité et sécurité. Il pourra également vous conseiller sur l’opportunité de procéder par cession du fonds de commerce, ou cession des parts sociales de la société, en fonction de votre situation patrimoniale, sociale et fiscale notamment. Une garantie d’actifs et passifs (la fameuse « GAP ») pourra éventuellement être nécessaire pour se prémunir en cas de passif caché, en particulier en cas de cession des titres de la société.
Baptiste Robelin – Avocat – Droit des affaires